Les aventures de Max – Épisode 16
Avec le vaccin on frôle l’overdose.
Tout a commencé avec celui de mon petit frère qui vient d’avoir six ans. Au printemps, quand les parents lui ont annoncé qu’ils allaient l’emmener se faire vacciner, il a cru que c’était contre le covid. Les parents lui ont dit que non non non pas du tout. Ils lui ont expliqué que son vaccin allait fabriquer des anticorps pour le protéger contre plusieurs maladies très graves qui avaient disparu grâce au vaccin inventé par Louis Pasteur il y a très longtemps, mais que pour le covid, il était encore trop petit pour se faire vacciner, que même moi son grand-frère, je n’étais pas concerné. Mon petit frère a répondu que le covid aussi était une maladie très grave, et que s’il devait avoir une piqûre, il voulait qu’elle le protège contre la pandémie, que c’était n’importe quoi les anticorps, c’était d’anti-maladie dont il avait besoin. Les parents l’ont rassuré en lui répétant que le covid, bien heureusement, n’était pas une maladie grave pour les enfants. Ils ont ajouté que le vaccin contre le covid ne concernait que les adultes parce qu’on n’avait pas encore trop de recul, qu’on n’allait quand même pas essayer un nouveau vaccin sur des enfants, et que c’était très bien comme ça, il ne fallait surtout pas qu’il s’inquiète. Mon frère a crié qu’il n’était pas très content d’aller chez le docteur parce qu’il déteste les piqûres et qu’il ne voyait pas trop pourquoi il faut se protéger contre des maladies qui ont disparu. Maman a fini par lui dire que de toute manière, il n’avait pas le choix, c’était obligatoire. Quand il s’est mis à pleurer en disant qu’il voulait prendre du recul et même carrément s’éloigner le plus possible du docteur, elle lui a dit que s’il était sage, il pourrait avoir un bonbon après le vaccin. Apparemment, ça ne s’est pas trop mal passé. Mon frère a eu très peur et un peu mal, mais avec un ou deux crocodiles rouges et verts – ce sont les meilleurs au monde – les choses s’arrangent toujours. Il était très content en revenant, très fier de lui. Il montrait son pansement à tout le monde. Distribution générale de crocodiles pour fêter ça.
Après, il y a eu les retrouvailles avec le monde extérieur. Avec la fin du confinement, Papa et Maman ont repris la vie sociale à haute dose. On est partis en voiture, on a pu quitter le département, incroyable. On a revu des amis, de la famille. À chaque fois, la première question était « Mais ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ? ». Les gens essayaient de calculer, ça faisait au moins un an et demi, voire deux, pourquoi pas trois dans certains cas, ils avaient quasiment la larme à l’œil. Et puis, très vite, venait la deuxième question qui était de savoir qui était vacciné, où, quand, comment, qui en était à sa première injection, à sa deuxième, qui avait opté pour AstraZeneca car c’était un vaccin traditionnel, qui avait opté pour Pfizer car c’était un vaccin révolutionnaire et anti-thrombose, quel site était le plus pratique pour trouver un rendez-vous avant tout le monde, est-ce que c’était bien solidaire d’essayer de trouver un rendez-vous avant tout le monde… C’était carrément lassant. Heureusement que j’ai retrouvé pas mal de super copains. C’est comme si on ne s’était pas quittés.
Pendant deux ou trois week-ends, il a aussi été question des élections régionales. Certains adultes clamaient haut et fort qu’ils ne voteraient pas parce qu’ils avaient été enfermés trop longtemps et qu’il était hors de question qu’ils raccourcissent leur week-end, d’autres partaient très tôt pour ne pas rater ce grand rendez-vous politique, d’autres encore avaient carrément oublié qu’il y avait des élections, d’autres disaient que de toute façon ils avaient perdu toutes leurs illusions. Certains allaient voter pour protester contre le gouvernement ; d’autres n’allaient pas voter pour protester encore plus. Dans la voiture du retour, ma sœur a demandé pourquoi les adultes n’étaient jamais d’accord entre eux. Papa et Maman ont répondu que c’était ça le débat démocratique, que c’était formidable, que c’était un signe de vitalité civique, que tous les pays n’avaient pas notre chance, que c’était un droit acquis de haute lutte. Et puis ils sont allés voter. Mais leur amour du beau débat démocratique n’a pas suffi. Abstention massive. On a bien vu qu’ils étaient un peu déçus. Quand ils ont commencé à en discuter entre eux et à dire qu’il aurait sans doute fallu ajouter une dose de proportionnelle supplémentaire, mon petit frère leur a demandé si c’était le nom d’un nouveau type de piqûre.
Heureusement, le vaccin a remis les parents de bonne humeur. « Chaque dose en son temps ». C’était le proverbe favori de Maman depuis Noël et le début de la vaccination. Elle expliquait qu’il fallait protéger en priorité les personnes les plus fragiles. D’abord les maisons de retraite. Ensuite les grands-parents. Le tour des parents a fini par venir lui aussi. Maman était toute contente quand elle est revenue de sa deuxième piqûre, elle disait qu’elle se sentait soulagée, qu’elle allait arrêter d’être sur le qui-vive et d’avoir peur de tomber malade et de transmettre le virus, et qu’en plus on pourrait peut-être voyager pendant l’été, parce que le vaccin donnait droit à un passeport spécial. Quand Papa a été complètement vacciné lui aussi, les parents ont ouvert le champagne. Nous, on s’imaginait déjà prendre l’avion pour aller au bout du monde. Ma sœur avait même organisé un vote – trois voix pour aller en Amazonie, majorité absolue, histoire de changer vraiment d’air et de voir la jungle et des crocodiles en vrai – mais les parents n’en ont pas tenu compte. Ils ont dit que la situation était encore trop incertaine et que c’était un peu trop loin de toute manière. C’est à vous dégoûter de la démocratie participative.
De toute manière, l’année n’était pas encore complètement finie. J’avais encore quelques semaines de collège avant l’été. Rien de bien exaltant à raconter. On a juste bien rigolé avec mes copains quand la prof de maths n’a pas arrêté de reporter son évaluation de fin de trimestre à chaque nouveau cas contact. Paulo n’a pas fait les choses à moitié quand il a dit que son père avait eu le covid deux fois de suite à deux semaines d’intervalle. Il y a eu aussi quelques disputes assez distrayantes en classe. Maeva a commencé à critiquer Léo, parce qu’il était enrhumé et qu’il toussait. Léo lui a dit qu’il avait fait un autotest et que si elle n’était pas contente, elle n’avait qu’à acheter un masque FFP2. Maeva a répliqué que les autotests, c’était n’importe quoi, que ses parents avaient dit que ça ne servait qu’à enrichir les pharmacies et que de toute façon, c’était impossible que Léo ait eu le cran de s’enfoncer le coton-tige assez loin dans le nez, que le test était donc forcément faux. Léo a arraché le masque de Maeva et heureusement que la prof de dessin est intervenue car sinon, je crois qu’il lui aurait refait le portrait. Ou au moins qu’il lui aurait fait avaler son masque, trois plis et élastiques compris. Chez nous, c’est ma petite sœur qui a fait un autotest, une fois où elle était enrhumée. Résultat négatif. Mais elle a adoré utiliser la pipette avec le liquide qu’il faut faire couler à l’intérieur du tube à essai avant de se servir du coton tige. Du coup, elle a commandé une mallette de petit scientifique pour son anniversaire et en attendant, elle n’arrête pas de faire des expériences avec de l’eau pétillante et du colorant alimentaire. Toutes ses poupées ont eu droit à leur test. Elle en a mis plusieurs à l’isolement dans sa chambre, mais elle leur lit quand même des histoires à travers des pochettes transparentes qu’elle a attachées ensemble. La bulle sanitaire, c’est important, mais les histoires encore plus. Ce serait trop dommage que la santé mentale des poupées en prenne un coup. Après, elle a décidé qu’il fallait voir les choses en plus grand. Mon petit frère l’a aidée à installer un vaccinodrome « Vite ma piqûre » dans le jardin. Une tente décathlon, quelques aiguilles à tricoter, un peu de colorant pour la goutte de sang, une dosette de sucre en cas d’évanouissement et le tour était joué. Ma sœur note les rendez-vous dans son cahier. La peluche Mauricette a été la première à avoir son injection.
On n’est pas allés en Amazonie, mais on est allés au restaurant, et c’était presque aussi bien. Le plaisir de commander un bon cheeseburger frites à trois étages, et surtout de ne pas être obligé de débarrasser son assiette à la fin du repas. Papa et Maman nous ont aussi emmenés au cinéma voir « Les As de la jungle » pour nous faire voyager un peu. Avec du popcorn en prime ! Dosage parfait. On était trop contents de retrouver le monde d’avant.
C’était trop beau pour durer. Plus on a avancé vers l’été et plus les gens ont commencé à s’abstenir du vaccin. Ça ne parlait que de ça à la télévision, de la méfiance des antivax, de leur désir de liberté totale et puis aussi du variant Delta qui lui, avait le droit de voyager partout, et qui n’avait pas l’air spécialement sympa. Ma sœur, qui a pris goût à la démocratie, a dit que le Président n’avait qu’à organiser un référendum, pour ou contre les piqûres. Mais à la place, le 14 juillet, on a eu droit à un feu d’artifice d’annonces. Le président a dit que le variant Delta était très menaçant et il a annoncé que maintenant tout le monde allait devoir être vacciné pour prendre le train, aller au restaurant, au cinéma et au centre commercial. Moi, ça m’est un peu égal de me faire vacciner, mais vous auriez vu la tête des parents quand ils ont vu que j’étais concerné par le pass sanitaire. Ils ont dit entre eux qu’il ne fallait pas confondre injection et injonction, et qu’ils n’allaient quand même pas se précipiter pour prendre rendez-vous, que c’était un peu fort de café cette précipitation brutale, cette absence de mesure dans les décisions. Mon petit frère a tout de suite demandé s’il allait être vacciné lui aussi, et s’il pourrait avoir d’autres bonbons. Ma mère a soupiré et a commencé à expliquer que non, il était trop petit, le vaccin c’était surtout pour les plus grands, bien sûr. Et puis, en me regardant, elle a eu l’air de douter un peu. Elle a arrêté de parler, et elle est allée manger quelques crocodiles pour se remettre. Je crois que elle aussi, le vaccin, elle en a eu sa dose.
Qui aurait cru que Max vivrait autant d’aventures grâce au Covid ? Pass sanitaire, attestations, vaccinations, ce n’est décidément pas de tout repos 😉 et il semble que ce ne soit pas fini…
Bravo, Caro, pour ces chroniques !
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Merci !! Oui la période est mouvementée, on ne s’ennuie JAMAIS…. ;))
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Merci Caro, c’est toujours un plaisir de te lire ! J’ai bien rien en imaginant la séance de lecture aux poupées ! Et je crois que je vais mettre aux crocodiles …!
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Merci !!!
Ah…. les crocodiles… quel régal ! 🙂
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