Camouflage

Les aventures de Max – Épisode 6

L’heure de vie de classe n’a pas très bien commencé. La prof principale a dit qu’on allait discuter du « vivre ensemble » parce que c’était très important, le « vivre ensemble », surtout dans la période actuelle, mais elle a dû s’interrompre, parce que Lia et Lola étaient en train de se disputer. Il y avait un masque jetable par terre devant leur table et chacune disait qu’il était à l’autre. La prof leur a dit de se calmer et d’aller jeter le masque à la poubelle, mais elles ont recommencé à crier. Lia disait que sa mère allait la tuer si elle apprenait qu’elle avait touché un masque plein de covid, et Lola brandissait son masque de rechange en disant qu’elle en prenait toujours-deux-pas-plus. Et puis, comme Victor commençait à rire – on voyait ses yeux qui se plissaient – elles ont crié encore plus fort pour dire qu’elles étaient sûres que c’était encore un coup de sa part, qu’il faisait tout pour faire crier les filles de la classe, leur refermer la porte au nez alors qu’il ne fallait pas toucher les poignées, ou bien leur mettre du gel hydroalcoolique dans les cheveux. La prof a poussé un grand soupir avant de pousser le masque vers la poubelle avec ses pieds. Ensuite elle l’a attrapé avec un kleenex pour le jeter. Elle allait se remettre à parler du « vivre ensemble » quand elle a vu que Thomas avait le nez qui sortait de son masque. Alors, là, elle a froncé les sourcils, et elle lui a demandé très sèchement de se couvrir le nez avant de réexpliquer qu’on le savait bien, quoi hein, que si on avait le nez qui sortait du masque, eh bien on risquait de tuer nos grands-parents. Thomas a demandé comment c’était possible qu’il tue ses grands-parents qui habitent à l’autre bout de la France, et la prof a froncé encore plus fort les sourcils, en disant qu’avec le vol du papillon tout était possible. Moi je me suis mis à imaginer le covid qui voletait partout avec ses ailes à la recherche de la Mamie de Thomas, et j’ai perdu un peu le fil. J’ai recommencé à écouter quand j’ai vu que Juliette s’était mise à pleurer… La prof lui a demandé d’arrêter immédiatement parce que ça allait abîmer son masque et puis elle lui a demandé pourquoi elle pleurait. Juliette s’est mise à pleurer encore plus fort, parce que la Mamie de sa maman était en maison de retraite et qu’avec ce satané covid, elle n’avait pas pu aller la voir depuis le mois de mars et que sa Maman avait dit que la solitude ça tuait Grand-Mamie à petit feu. Et Juliette disait qu’elle ne comprenait pas pourquoi on laissait les gens brûler comme ça, et que même si c’était une expression, eh bien elle, ça lui faisait faire des cauchemars. La prof a dit qu’elle comprenait et que c’est pour ça qu’il fallait tous bien porter le masque, pour que l’arrière-grand-mère de Juliette arrête de mourir à petit feu, et que si on était tous solidaires avec les gestes barrières, le covid allait être exterminé en un clin d’œil. Je l’ai trouvée un peu trop optimiste, mais son enthousiasme faisait plaisir à voir après tous ses froncements de sourcils. Elle nous a dit qu’on allait justement en reparler des gestes barrières et que ce n’était pas parce que le gouvernement imposait la distanciation, qu’il fallait oublier d’être amis et bons camarades, et qu’elle allait nous proposer un grand jeu collaboratif pour renforcer notre esprit d’équipe. Elle allait nous expliquer les règles du jeu, quand Maeva a levé la main pour dire qu’il y avait quelque chose qu’elle ne comprenait pas, c’était que le président de la République luttait contre le séparatisme, que ce n’était pas logique, puisque justement avec le covid, il fallait qu’on soit séparés au maximum, que c’était encore une contradiction de plus comme disait son Papa tous les soirs. La prof a dit que c’était une excellente question mais qu’on n’allait pas y répondre tout de suite, que le thème de la prochaine heure de vie de classe c’était justement la laïcité, voilà. On n’a pas osé lui dire qu’on ne comprenait pas trop le rapport, parce qu’on la voyait jeter des coups d’œil vers l’horloge, et on avait quand même envie de jouer à son grand jeu. Quand on a vu que c’était un jeu de questions sur les symptômes du covid, où il fallait donner le plus de bonnes réponses possibles en groupe, car à plusieurs on est plus fort, on s’est un peu amollis. Peuvent pas nous parler d’autre chose que du covid à la fin ? Heureusement, Samy avait autre chose à raconter. Il a demandé très poliment s’il pouvait partager son expérience des gestes barrières et faire des propositions. Et la prof a dit que oui, c’était important que tout le monde s’exprime et donne son ressenti. Samy a demandé pourquoi on ne nous mettait pas des bracelets anti-rapprochements, que son papa devait en porter un depuis le mois de mai et que comme ça, il ne risquait pas de donner le covid à sa mère, et que sa mère elle était bien soulagée de ça, que depuis qu’elle savait qu’elle ne risquait plus d’être contaminée par son père, elle disait qu’elle allait revivre. Que donc, ça avait l’air d’être une bonne solution. Les yeux de la prof sont devenus un peu bizarres, un peu rouges, elle a remercié Samy de son intervention et elle a dit que finalement, elle voyait bien qu’on avait davantage envie de parler que de jouer, et que donc elle allait nous faire écrire un texte « Comment imaginez-vous le collège idéal ? » pour qu’on puisse bien s’exprimer et imaginer ce qu’on avait sur le cœur.

Alors, là, dans mon cerveau, c’est devenu aussi blanc que les masques… Le collège idéal… Déjà par définition, le collège c’est tout sauf idéal, donc difficile de répondre. Et puis est-ce qu’il fallait faire comme s’il n’y avait pas le covid, les masques ? Remarquez, les masques, on en dit beaucoup de mal, mais ce n’est pas uniquement désagréable. Déjà, les profs ont beaucoup plus de mal à repérer quand on parle, et même quand ils nous entendent, deux fois sur trois, ils se trompent de prénom. Du coup, ils lâchent l’affaire plus vite. Le prof d’anglais a même renoncé à dire nos noms, ils nous a attribué des lettres par rangée et des numéros par table qu’il prononce très vite en anglais, on dirait qu’il joue à la bataille navale. Il nous a expliqué que comme ça on allait progresser encore plus vite en compréhension orale. Et puis, grâce au masque, c’est la revanche du chewing-gum. Pourvu que tu ne mastiques pas trop fort – Samia s’est fait prendre parce que ses élastiques bougeaient – ni vu ni connu ! On devient des rois du camouflage. On s’occupe comme on peut.

En physique chimie, avec nos blouses blanches, on s’amuse à imaginer qu’on est dans Star Wars. Les Stormtroopers c’est nous. Dark Vador, c’est le prof. Il nous a hurlé dessus l’autre jour parce que certains ne s’étaient pas assez bien séché les mains après les avoir lavées, et qu’il nous rappelait que c’était dangereux quand on faisait un circuit électrique. Il nous a aussi expliqué qu’il ne nous fournirait pas de gel hydroalcoolique parce que c’est inflammable, on ne le dit pas assez, et qu’avec les expériences qu’on allait faire, on ne pouvait pas se le permettre. On ne pense jamais à tout. Il nous a fait travailler sur les interrupteurs, ça faisait s’allumer une lampe rouge, et Samia s’est mise à rire quand Juliette lui a dit que ça ressemblait au cœur que lui a envoyé Noah sur Snapchat. Noah, c’est un Troisième qui a bien envie de sortir avec Samia ; Samia hésite, elle avait presque dit oui, mais Juliette lui a dit de se méfier, car il paraît que quand Noah enlève son masque, il a plein de boutons partout. Peut-être que dans un collège idéal on devrait fabriquer des masques avec notre photo imprimée dessus, comme ça pas de trop mauvaises surprises. C’est un peu triste tout ce blanc. Moi, je voulais mettre le masque série spéciale Mac-Do qu’on a eu l’autre jour en prenant notre commande au drive, mais Maman a absolument refusé. Pas moyen que je remette la main sur les masques, elle a dû les cacher. C’était plutôt sympa pourtant avec un bon cheeseburger et Coca Cola marqué en gros. Elle est bizarre maman : c’était un masque en tissu lavable et tout et tout. Zéro déchet. Elle qui n’arrête pas de dire qu’il faut réutiliser les choses, parce que sinon ça va finir au milieu de l’Atlantique. Elle était toute contente que ma sœur parle des déchets en classe, qu’elle voie des photos de la banquise de détritus qui flotte dans l’Océan, parce qu’on allait pouvoir agir ensemble en famille. Mais là pour un tout petit peu de publicité, elle change d’avis, elle n’est vraiment pas logique. C’est comme quand elle m’achète tout un tas de livres pour que je ne joue pas uniquement à ma console. J’essaie de ne pas l’encourager dans cette direction, je pense aux arbres, moi ! J’ai également catégoriquement refusé de mettre les masques fabriqués en France qu’elle a achetés. Pas question que je me promène avec un logo coq sur le masque. Je n’ai pas envie de ressembler à un joueur de foot, j’ai ma fierté. Heureusement, ils étaient trop grands pour moi, je n’ai pas trop eu à argumenter.

Quand la prof a ramassé nos feuilles, je n’avais rien écrit du tout. J’avais bien pensé proposer qu’on puisse utiliser les téléphones à volonté, parce que Snapchat, finalement, ce serait une façon d’éviter les postillons papillons, et puis je n’ai pas osé. Les adultes sont rarement très ouverts au progrès. Heureusement qu’on a un président moderne, mais c’est bien le seul. J’ai bien aimé ce qu’il a dit de la 5G et des lampes à huile, même si Papa et Maman se sont mis à sauter dans tous les sens quand ils ont entendu ça, en s’exclamant « Quelle absence totale de nuances ! ». Je n’ai pas voulu mettre d’huile sur le feu, mais j’aurais bien aimé leur rappeler qu’il n’avait pas complètement tort le Président…. Qui est-ce qui veut m’obliger à utiliser un téléphone ridiculement ancien pour aller au collège – plutôt mourir – ? Qui est-ce qui refuse de nous emmener en vacances en avion ? Pourtant, prendre l’avion, survoler les nuages, on en meurt d’envie avec ma sœur. Ça fait un peu peur à mon petit frère qui craint les orages, mais depuis qu’on lui a dit qu’il rencontrerait peut-être Superman en plein vol, il a changé d’avis et on compte sur lui pour harceler les parents. Il est très fort pour ça. Moi, je me suis mis à dire que j’adore l’espagnol rien que pour qu’on aille en Espagne, et ma sœur a dit qu’elle aimerait trop aller manger de vraies pâtes Carbonara en Italie. On essaie de mettre toutes les chances de notre côté pour sortir de l’ordinaire.

En famille, on s’ennuie un peu en ce moment. On devait aller à un mariage, mais il a été annulé. J’ai été presque soulagé, remarquez, car les futurs mariés ont expliqué qu’ils avaient été obligés de refaire le plan de table pour qu’on ne soit pas mélangés avec des gens qu’on ne voyait pas d’habitude. Et moi, à l’idée de passer toute la soirée avec Papa et Maman au lieu de manger et rigoler avec mes cousins, j’avais vraiment le seum ! J’étais juste curieux de savoir comment allait se passer le bisou de la mariée masquée. À la place, on est allés au théâtre. À l’entrée, il y avait un monsieur qui fouillait les sacs, et un portique pour prendre notre température. On a fait la queue pour rentrer dans la salle un par un et ensuite, on nous a fait sortir rangée par rangée. Un peu long. Maman a dit que ça ressemblait à ça de prendre l’avion, mais je n’ai pas trop compris son allusion. Si c’est comme ça qu’elle pense nous faire changer d’avis, elle s’enfonce le doigt dans l’œil aussi loin qu’un test PCR ! Je n’étais pas très chaud pour aller au théâtre, mais je dois reconnaître qu’on a passé un bon moment. La pièce était assez drôle et les comédiens n’avaient pas de masque. On voyait leur bouche, leur sourire. On les entendait sans avoir besoin de tendre l’oreille, c’était pas mal. Je me suis dit que c’était peut-être ça que j’aurais dû écrire pendant l’heure de vie de classe…. Que ce serait bien un collège où on comprend ce que disent les profs et où ils nous sourient de temps en temps.

2 commentaires sur « Camouflage »

  1. Super, Max, de nous faire profiter de ton expérience au collège. Le bisous des mariés certes, mais que fais-tu du premier bisous de Samia et de Noah s’ils sortent ensemble ? 😉
    Merci Camarlette pour tes textes !

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