Pâturage

Les aventures de Max – Épisode 4

Et voilà. On voulait la mer, on a eu le Limousin. On habite à la campagne et on part en vacances… à la campagne. Y a quelque chose qui cloche dans ce nouveau monde. Papa et Maman ont dit que le Limousin était une région aux richesses historiques insoupçonnées, que c’était surtout le lieu idéal, loin des touristes et du covid, mais je les soupçonne d’avoir surtout cherché la zone la plus blanche possible. Plus blanche tu meurs. Aucune connexion, rien. L’angoisse totale. Cela dit, bien fait pour eux, ils ont été punis, obligés de marcher en rond au fin fond du jardin pour pouvoir envoyer leurs messages. On aurait dit des chercheurs d’or avec une baguette de sourcier. Papa qui disait à Maman « Ah ! ça y est, ça capte ! » et Maman qui s’énervait deux secondes après parce qu’exactement au même endroit, ça ne captait pas du tout. Si je n’avais pas été aussi déprimé, ça m’aurait fait rire. Impossible de mettre leurs photos du Limousin sur WhatsApp. Et toc.

Si encore ils avaient choisi cette région pour sa bonne viande. Mais non. Remarquez, au moins le départ en vacances a arrêté la spirale infernale des haricots du jardin. Avant de partir, on n’arrêtait pas d’en manger, il y en avait tellement qu’un jour Papa et Maman ont pu en donner aux voisins. Ça fait longtemps que je ne les avais pas vus aussi contents. Ils n’arrêtent pas de nous vanter les bienfaits du jardinage, mais on sait bien que c’est pour eux qu’ils ont planté tout un tas de légumes. Et qu’est-ce qu’il va devenir le maraîcher du village, hein, si on devient autosuffisant ? Si seulement, ils réfléchissaient aux conséquences de leurs actes. Au début, Papa voulait que j’arrose, mais quand il a vu l’état des courgettes, il n’a plus trop insisté. Jamais content. C’est comme les courses. L’avantage avec le covid, c’est qu’on ne peut rien replacer dans les rayons, ça serait trop mal vu. Alors, d’accord, j’en ai un peu profité pour mettre dans le caddie ce qui me fait plaisir. Ce n’est pas ma faute si je suis carnivore. À notre retour, Maman a presque fait un malaise quand elle a vu la pizza bolognaise, les nuggets de poulet, les cordons bleus et les brochettes de bœuf. Elle a dû s’asseoir. Je la trouve un peu pâlotte en ce moment. Peut-être qu’elle ne mange pas assez de protéines ?

Qui dit vacances dit bagages et ça, ça n’est jamais une partie de plaisir. Le Limousin, ça se mérite. Faire une liste à rallonge, faire des valises, perdre la liste, faire des sacs, chercher la liste, chercher les doudous, chercher les lunettes, retrouver la liste, ne pas oublier les haricots… mes parents sont des spécialistes. Et le summum : faire le coffre. Je comprends pourquoi Papa était fort en Tetris. C’est un jeu qu’il avait dans sa jeunesse. Minecraft en moins créatif. En gros, au lieu de construire, tu empiles. Et tout ça dans la colère et la mauvaise humeur. En plus, cette année, on a eu droit à une dispute pour savoir qui était censé mettre le paquet de masques dans la voiture. On a dû faire demi-tour, bonjour l’ambiance. D’habitude, quand on arrive sur l’autoroute, on respire enfin, mais cette année, c’est à croire que tout le monde avait envie de découvrir le Limousin. Des voitures partout, et qui nous collaient en prime. Papa a perdu son calme plusieurs fois. La route, c’est encore plus dangereux que le covid. Le gouvernement devrait aussi penser à instaurer la distanciation entre les voitures.

Dans le Limousin, au début, pour nous amadouer, Papa et Maman nous ont emmenés dans une grande piscine en extérieur. C’était trop stylé, quoiqu’un peu risqué . Le maître-nageur a déconseillé à ma petite sœur de nager sous l’eau sans lunettes parce que l’eau était surdosée en chlore. Il nous a expliqué que c’est pour ça qu’il portait des lunettes et des gants, en plus du masque, et qu’il se plaçait en sens inverse du vent. Comme les douches étaient condamnées, on s’est bien rincés en arrivant au gîte. La fois d’après, on est allés se baigner dans un étang. Des cailloux à la place des coquillages, mais on ne va pas trop se plaindre quand même côté baignade. Un bon point pour le Limousin. Seulement, mes parents sont de grands nostalgiques, et ils ont décidé de nous faire remonter le temps. Retour vers le futur, mais en plus lointain. On a commencé par des thermes romains en pleine chaleur. Pour occuper mon petit frère, ma mère lui faisait chercher les pancartes avec les numéros de l’audioguide. Sauf qu’ils n’étaient pas dans l’ordre à cause du nouvel itinéraire anti-croisements, et qu’elle devait lui courir après quand il essayait de passer sous les barrières pour trouver le bon panneau. Quand elle arrivait à le faire rester en place, elle s’extasiait devant de grands bassins blancs à moitié cassés en parlant de l’ingéniosité des Gallo-Romains. Ma petite sœur a demandé si les lunettes de piscine existaient déjà cette époque-là et moi, je me suis dit que ça manquait quand même un peu d’eau fraîche. Surtout qu’on a bien transpiré quand il a fallu rattraper mon petit frère qui s’enfuyait à toute allure vers les ruines du temple. Il a pris peur quand il a entendu Maman nous expliquer – véridique – que les murs des thermes étaient construits avec des restes de la météorite qui s’était écrasée sur le Limousin il y a des millions d’année. Depuis quelque temps, mon petit frère est comme Abraracourcix : il a très peur que le ciel lui tombe sur la tête, et là, mes parents ont la bonne idée de l’emmener dans LA région de France où est tombée une météorite. Je ne trouve pas ça terrible. Ce sera quoi leur prochaine idée ? L’Auvergne et ses volcans ? Je nous vois déjà en train de chercher mon frère dans tout Vulcania.

Le jour d’après, comme si on n’avait pas assez réfléchi à nos ancêtres, on est allés visiter une grotte. Le guide nous a expliqué qu’il ne fallait surtout pas toucher les parois, car nos mains étaient pleines de bactéries qui risquaient d’abîmer le fragile équilibre de la grotte. Je ne sais pas dans quel monde vit ce monsieur, mais s’il reste des bactéries sur nos mains en ce moment, c’est qu’elles sont drôlement ingénieuses, elles aussi. Sur une semaine de vacances, ma sœur a essayé au moins 18 gels hydroalcooliques différents. Une moyenne de trois par jour, davantage si on compte les jours où on est seulement allés en forêt. Rien de spécial à signaler dans la grotte, sauf mon petit frère qui voulait faire le mammouth et Maman qui a cru qu’elle avait perdu ses lunettes. On a commencé à slalomer entre les stalagmites et les autres visiteurs, mais fausse alerte : en fait, elle les avait toujours sur le nez. En ce moment, elle ne sait plus où elle en est avec ses lunettes. Quand elle doit porter le masque, un coup elle les met, un coup elle les enlève. Apparemment, elle est dans le brouillard en permanence. Elle s’est mise à sourire l’autre jour devant la télé, quand elle a vu que le Premier Ministre n’arrêtait pas, lui non plus, d’enlever ses lunettes et de les remettre face aux caméras. Quand je serai à nouveau autorisé à jouer avec ma console, il faudra que je leur parle à tous les deux du tutoriel que j’ai vu sur Youtube pour enlever la buée avec du liquide vaisselle.

En attendant, quand on est au gîte, on regarde pas mal de dessins animés avec ma sœur et mon frère. Le vrai point positif du covid c’est que cette année, au moins il n’y a pas le tour de France tous les après-midi. Et ça, ça fait vraiment du bien. On peut regarder nos séries sans être interrompus par un sprint qui prend des heures ou par Papa et Maman qui veulent absolument nous montrer un endroit où ils sont allés quand on n’était même pas encore nés. Ils mettent quand même BFM de temps en temps, mais dès que les journalistes parlent de l’épidémie « à bas bruit » ou qu’ils commencent à faire le tour de France des villes qui obligent à porter le masque en extérieur, les parents poussent un soupir et remettent Gulli. On n’arrête pas d’entendre que le covid se répand à « bas bruit », mais voilà encore un truc qui cloche question vocabulaire. Parce que j’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi bruyant. Moi, quand je veux me faire discret avec ma Switch, je marche sur la pointe des pieds pour rallumer la wi-fi et ensuite je me cache sous la couette. Ni vu ni connu. Alors que le covid, lui, il prend toute la place, on ne parle que de lui. Même si une nouvelle météorite s’abattait sur l’Europe, je crois que c’est encore lui qui ferait les gros titres. Quand Maman a reçu un message l’informant que le centre de loisirs de notre village était fermé pour cause de suspicion de covid 19 sur le père du beau-frère d’une maman dont les enfants vont au centre, elle a redit à Papa qu’elle était bien contente qu’on soit en zone blanche, et elle a arrêté d’aller chercher l’impossible au fond du jardin.

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